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OSCAR... A TRIBUTE

Commenté par: Karl Stober

La musique de Serge Forté est une expérience qu'il faut saisir, et souvent. Son piano dans "take the A-Train" est d'une grande musicalité; pour sa mise en œuvre de son influence "Oscar Peterson", mais avec une une vision très précise. Il ne fait rien de moins que de poursuivre l'élan dramatique de son hommage paru en 2008  (Thanks for all) , en offrant un respect en perspective à l'icône du jazz, Oscar Peterson. Avec chaque prise, on a le sentiment que l'influence de M. Peterson est assise sur la  banquette du piano avec lui. J'étais tellement pris par le voyage pianistique que je me suis permis une comparaison de 2 "Take the A-Train." J'ai récemment réécouté la version du regretté regretté Michel Petrucciani  et découvert avec étonnement la similitude d'exécution de nombreux passages. Plus précisément, la main gauche dans l'introduction, que Forte semble développer en compagnie de son bon ami Petrucciani. Dans le même souffle, je sentais la même pulsation avec Forte comme je l'ai fait avec Petrucciani, permettant anticipation...avec l'exubérance de son révolutionnaire artisanat de l'ivoire. Le melting pot d'émotions musicales mixtes dans l'intro de "Summertime" est un autre bel exemple de l'improvisation rigoureuse. Ce classique de jazz de Gershwin se balance dans une autre dimension avec ce monumental arrangement. Avec Charlie Obin aux percussions conduisant le rythme fondamental de la basse de Jean Weller, agissant en tant que guide de mesure du trio; le son est malicieux et délicieux. Comme l'esprit  de Serge Forte que l'on retrouve dans la plupart des pièces de ce projet. Que vous écoutiez "Canadian Market Place" de Forte ou "Saint Thomas" de Rollins, l'expérience a cette aura d'exclusivité rare quand la technique est au service de l'échange avec le public. 

Serge Forté est dans une sphère classique du jazz que peu ont accompli qui consiste à  distribuer intelligemment des concepts de jazz complexes pour les rendre accessibles ... Oscar..a tribute est une perle à découvrir : une joie de vivre enrobée d'intellect sophistiqué! 

Interview Oscar Peterson par Serge Forté

 

 

Marciac, 15 Août 1997

 

Serge Forté : Monsieur Peterson, beaucoup vous considèrent comme le dernier grand pianiste de Jazz et d’autres n’ hésitent pas à penser qu’il n’y a plus de grands créateurs aujourd’hui. Qu’en pensez-vous ? 
Oscar Peterson : Je pense que le Jazz aujourd’hui est dans une très dangereuse position en tant que forme artistique. Il y a tellement d’argent derrière la musique, celle-ci est devenue si commerciale que le Jazz, tout comme d’ailleurs la musique classique, est actuellement très menacé.

SF : Et que pensez-vous, en particulier, des pianistes de Jazz ? 
OP : Il y a un certain nombre de pianistes qui selon moi ont du talent. Je suppose que vous parlez des pianistes actuels ? 
SF : Oui, je pense en particulier à Keith Jarrett, le pianiste phare d’aujourd’hui. 
OP : Et bien voyez-vous, je ne pense pas que Keith Jarrett puisse réellement aider le Jazz, car il est si différent. Il n’est ni pianiste de Jazz, ni pianiste classique. Non, si on parle de pianistes de Jazz, il faut pouvoir les évaluer en tant que tels. Keith donne un concert classique, puis peu après un concert de Jazz, et on ne sait jamais réellement où il se situe. Pourtant, je pense que Keith est un pianiste de grand talent, dans son domaine.

SF : Que pensez-vous de l’évolution du jeu du batteur ? Pourriez-vous par exemple jouer avec Jack Dejohnette ? 
OP : Ce n’est pas le type de batteur avec lequel je jouerais en premier ! Je pense qu’il convient parfaitement à des gens comme Keith ou Chick Coréa. Voyez-vous, je mets beaucoup de pression dans mon jeu et j’attends le même type de pression de batteurs comme Bobby Durham ou Martin Drew. Cela me permet de mieux jouer. Vous savez, je n’ai rien contre Jack Dejohnette, mais parfois les batteurs sortent de leur élément, de leur monde, le rythme devient flottant, et ce n’est pas du tout pour moi ! J’aimais Max Roach, Art Blakey, car ils étaient définitifs et c’est certainement pourquoi j’aime Martin Drew ou Ed Thigpen, car on sait toujours ce qu’ils font.

SF : A propos de batteurs, je voulais depuis longtemps vous poser une question d’ordre technique : de quelle manière avez-vous travaillé ces accents que vous mettez sur certaines notes, même dans vos chorus les plus rapides, car j’ai l’impression d’ entendre un phrasé de caisse claire ?... 
OP : Vous voulez dire les attaques ? Eh bien, la musique est une langue, n’est-ce pas ? Lorsque je parle, j’accentue certaines syllabes, et quand je suis au piano , c’est la même chose. Le fait de chanter mes phrases à l’avance y contribue aussi.

SF : Dès lors, pensez-vous qu’il soit réellement important pour un pianiste de Jazz d’avoir une formation classique ? 
OP : Je pense que cela dépend du talent de chacun. D’un côté, pour quelqu’un comme Errol Garner, qui avait un don si naturel, ce n’était pas nécessaire. D’un autre côté, la rigidité de l’apprentissage de la musique classique vous apprend le respect de l’instrument, et vous donne la possibilité de l’exploiter à un niveau bien plus approfondi qu’en apprenant par vous-même . Dans le piano classique, il y a tant de nuances, que vous ne pouvez arriver à le comprendre si vous commencez seulement à jouer et que vous ne savez pas ce que vous faites. Si vous étudiez le classique comme je l’ai fait, et un grand nombre de gens le font, votre professeur vous dit où placer les nuances et c’est très difficile d’être capable de le faire. Il n’y a qu’en jouant de la musique classique que l’on y arrive. Avez- vous eu une formation classique ? 
SF : Oui, pendant de longues années . 
OP : Donc vous savez de quoi je parle ? 
SF : Oui, bien sûr ! Mais je pense que la principale lacune de l’enseignement classique est de ne pas former à l’improvisation. 
OP : Oui, c’est regrettable, mais on ne peut pas apprendre la musique classique de cette façon car elle a été écrite pour être jouée exactement. Mon professeur, Paul Le Marquis, me faisait travailler une oeuvre classique et ensuite il me demandait comment je l’entendais. Je répondais "hé bien, pas exactement de cette façon", mais je n’y pouvais rien changer car je ne l’avais pas écrite moi-même. Si cela avait été une de mes compositions, j’aurais pu prendre la liberté de changer quelque chose, mais comme il s’agissait du morceau de quelqu’un d’autre, je devais le respecter. Et dans le Jazz c’est la première chose que l’on doit apprendre : vous devez respecter ce que vous jouez. Si vous ne l’avez pas compris, vous n’improvisez pas , vous vous égarez.

SF : Avez-vous déjà joué de la musique classique en public ? 
OP : Oui, quand j’étais très jeune, 15 ou 16 ans. A l’époque pour moi, c’était la musique classique d’abord, et loin derrière, le Jazz. C’était avant mon départ du Canada.

SF : Comment avez-vous construit votre style dans les années 40, sans les moyens que nous avons aujourd’hui pour écouter de la musique ? 
OP : Surtout avec un énorme désir. Je voulais être capable de jouer du Jazz, donc en finir avec la tradition classique et je me disais "je veux le faire" et je devais y croire. Ce n’était pas facile parce qu’il n’y avait pas de professeurs.

SF : Comment avez vous fait pour aborder le style de quelqu’un comme Art Tatumauquel on vous compare souvent, si l’on se réfère uniquement au style traditionnel ? 
OP : Je vous l’ai dit, j’ai appris le respect par ma formation classique et donc j’ai aussi appris à respecter Art Tatum. La plupart des gens qui l’ écoutent disent : Mon dieu ! il peut jouer si vite tant de notes ! Çà ne signifie rien pour moi, ce n’était pas cela qui m’intriguait, c’était sa conception de l’harmonie, car il entendait de façon harmonique comme aucun autre musicien.

SF : Si j’ai mentionné votre affiliation au style de Tatum il est clair qu’ en plus vous avez parfaitement intégré le be-bop. Avez-vous appris, durant cette période, les solos de Charlie Parker, par exemple ? 
OP : Oh oui, Je les ai tous appris !! Non, non !! ( en riant) Mais je peux toujours aujourd’hui, si vous mettez un disque de Charlie Parker, chanter ses solos ! 
Je peux chanter aussi les solos de Dizzy, de Lester Young, Roy Eldridge, Coleman Hawkins, Ben Webster, Johnny Hodges . Je peux le faire aujourd’hui, parce que la seule manière pour apprendre était d’écouter encore et encore les disques. Nous n’avions ni magnétophone ni partitions ! C’est pourquoi je continue à jouer le solo de "Sometimes I’m happy " de Lester Young, non pas comme un hommage à sa mémoire, mais pour la valeur musicale, parce que cette musique signifie quelque chose ici ( en se frappant le coeur).

SF : Pensez-vous que le fait d’avoir joué de la trompette vous a aidé pour relever ces solos ? 
OP : Oui, sans aucun doute, car lorsque vous entendez un sax ou une trompette, vous l’entendez différemment que lorsqu’il s’agit d’un pianiste. L’impédance est différente car la note est produite par le vent au lieu de la force. 
SF : Je sais que pour un pianiste, il est très difficile de retranscrire un solo de trompette ou de sax ! 
OP : C’est très difficile, justement parce que vous n’avez pas la même attaque.

SF : Que pensez-vous alors de Bud Powell qui, comme vous le savez, était réputé pour avoir un style de jeu très proche du saxophone ? L’avez-vous rencontré ? 
OP : Oui, j’ai connu Bud Powell. Je pense que c’était un merveilleux pianiste. Mais il n’était pas le meilleur. Je préférais Hank Jones. Bud était ce que j’appellerai " un talent brut ", je veux dire qu’il jouait exactement ce qu’il pensait. Je ne pense pas qu’il travaillait beaucoup, son jeu était direct, sans préparation. 
SF : Sa vie fut pourtant si terrible ! 
OP : Il devint la victime de son environnement particulier.

SF : Dans le même ordre d’idée, avez-vous rencontré Lennie Tristano ? 
OP : Non, je n’ai jamais rencontré Lennie, mais j’aime bien certaines choses. 
SF : C’était très nouveau pour la période ! 
OP : Oui, c’était vraiment nouveau, et j’aime ses recherches qui étaient très aventureuses. Je ne crois pas que j’aurais pu passer ma vie à suivre cette voie, mais je pense qu’il a choisi un point de vue très intéressant, comme par exemple jouer avec son groupe en improvisant totalement, en fait les prémices du free jazz...

SF : Lors d’une rencontre avec Frank Ténot, il m’a rapporté une discussion que vous aviez eue concernant les " 3 M " : Mingus, Monk et Miles... 
OP : Eh bien, il y a des gens qui ont apporté quelque chose au Jazz. Je pense que Miles et Monk en font partie. Mais Monk pour moi n’était pas un pianiste, c’était surtout un compositeur, et un bon . A propos de Miles et des trompettistes, je préfère penser à Dizzy, à Clifford Brown qui étaient de sérieux clients, vous comprenez ? 
SF : Oui je vois ce que vous voulez dire... 
OP : J’en suis sûr car vous êtes pianiste et vous savez de quoi je veux parler ! C’est très à la mode de parler de Miles aujourd’hui. Les radios et la télévision attachent beaucoup d’importance à ses vêtements, à son allure, à son style de vie. Mais si l’on me parle de talent alors je pense à Dizzy et Clifford bien sûr mais aussi à Roy Eldridge, et il y a une grande différence...

SF : J’ai souvent entendu l’histoire de votre rencontre avec Norman Granz, mais j’aimerais avoir... 
OP : Ma propre version ? Tout est vrai ! Il venait à Montréal pour la promotion de ses concerts de Jazz, et il m’a entendu à la radio dans un taxi qui l’emmenait à l’aéroport. Apprenant que c’était du direct, il s’est fait conduire immédiatement au club et m’a emmené dîner. C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés ! 
SF : Quelle a été votre réaction ? 
OP : C’était une incroyable surprise ! Je ne m’attendais pas à voir Norman Granz assis dans cette salle, mais il était bien là !

SF : Vous avez par la suite participé, à son initiative, à un enregistrement historique qui réunissait pour une séance une vingtaine de musiciens parmi les plus talentueux de leur époque tels Charlie Parker, Ben Webster, Barney Kessel, Ray Brown, Johnny Hodges, etc... Vous souvenez- vous de ces moments ? 
OP : Comme si c’était hier !

SF : J’ai ici un livre de photos de ces séances, et j’aimerais beaucoup vous le faire dédicacer ; Vous le connaissez , bien sûr ? 
OP : Non, je ne l’ai jamais vu !!! 
SF : Et bien l’ histoire de ces photos est singulière, car à l’époque, personne n’ avait pensé à appeler un photographe pour immortaliser l’événement. Et il se trouve que par le plus grand des hasards, une photographe s’est trouvée là et qu’elle a fait, par pur réflexe professionnel, de nombreux clichés sans déranger les musiciens. Mais comme le jazz ne représentait pas grand chose pour elle, elle a vite oublié cette séance sans en parler à personne. Il a fallu un autre hasard pour que l’auteur du livre tombe sur une photo, qu’il en retrouve la responsable et surtout découvre avec stupéfaction la qualité incroyable de ces clichés pris sur le vif !!! Je croyais vraiment que vous connaissiez ce livre...

Ensuite, Oscar, feuilletant le livre, fit un retour sur sa jeunesse en revoyant tous ses amis, disparus pour la plupart. Un grand moment d’émotion, surtout lorsque, montrant une photo de Ben Webster à sa fille, il lui dit " tu te souviens de Oncle Ben, nous avons été ensemble mettre des fleurs sur sa tombe... " . Il ne cessait de dire " quel livre merveilleux, c’est extraordinaire ! Ces photos sont superbes ! Vous voulez voir l’histoire du Jazz, la voilà !" 
Il a suffi d’ un seul regard avec ma femme pour que l’évidence s’ impose à nous : deux jours après cette interview, Oscar Peterson fêtait son 72 ème anniversaire. Devinez ce que nous lui avons offert ?...

Cette interview a été réalisée le 12 Août 97, à l’Hôtel de France , à Auch, durant le festival de Marciac. Un grand merci à Mr Oscar Peterson pour la chaleur de son accueil , son rire, et sa gentillesse vis-à-vis de mon anglais !

Serge Forté

 

Oscar Peterson et Serge Forté, Marciac 97

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